Etude "Salvatore Mundi" - Léonard de Vinci
HISTOIRE DES REPRESENTATIONS DU CHRIST
Dans l'iconographie byzantine, on trouve souvent des représentations du Christ pantocrator (tout puissant). Il s'agit de représentations de Jésus après être monté aux cieux. On remarque la position de la main droite qui effectue un code évoquant une bénédiction. Il tient le livre des saintes écritures ouvert. Une auréole entoure sa tête avec des inscriptions de lettres grecques Alpha, Omega et IC, XC (abréviations de Jésus Christ).
Sur cette représentation de l'archange Uriel, le monde est représenté sous la forme d'un globe transparent, surmonté d'une croix (orbe crucigère). A l'intérieur du globe, les flots symbolisés par les plis bleus du manteau, que l'on voit en transparence, forment un tourbillon.
Le navire qui voyage sur la mer symbolise l'Eglise du Christ. La tempête apaisée est un miracle de Jésus cité dans les évangiles : "Un tourbillon fondit sur le lac, la barque se remplissait d'eau, et ils étaient en péril..." Il est le symbole que le Christ est venu apporter la paix à une humanité prise dans les flots tumultueux de la vie.
LES "SALVATORE MUNDI" DE L'ATELIER DE LEONARD
Deux versions d'un même portrait du Christ, représenté en sauveur du monde (Salvatore Mundi), sont attribuées à Léonard de Vinci et son atelier. Dans la version "Cook", le Christ porte une tunique bleue et une boule de cristal transparente. Dans la version "Ganay" il est vêtu de rouge avec une cape bleue et porte une boule de verre noire.
Sur les deux tableaux, le personnage esquisse un geste de bénédiction, ses deux doigts tendus symbolisant la double nature du Christ, humaine et divine. Des lanières de cuir, ornées de motifs répétitifs, se croisent sur son torse.
LE TOURBILLON
Sur les deux tableaux on retrouve le symbole du tourbillon évoqué dans les plis de la manche droite du Christ. Le tissu est blanc, couleur de la paix. Comme on l'a vu plus haut, le Christ est venu apporter la paix à une humanité prise dans les flots tumultueux de la vie.
L'EAU ET LE SANG
Les plis verticaux ondulants de la tunique simulent un liquide qui coule vers le bas. Il s'agit ici d'évoquer l'eau à travers la tunique bleue du Christ. L'eau représente la purification des âmes par le baptême. On est bien dans le thème d'un Salvatore Mundi.
Dans la version Ganay, la tunique rouge évoque cette fois le sang du Christ qui a coulé lors de sa passion. Le sang, célébré par le vin dans l'Eucharistie, doit racheter les pêchers du monde.
LE POISSON ET L'AGNEAU
Dans la version Cook on devine la tête d'un poisson dans les plis de la tunique. Le poisson (ICHTHUS en grec) est le symbole des premiers chrétiens. C'est l'abréviation de la phrase : "Jésus Christ, fils de dieu, sauveur". Associé à la couleur bleue de l'eau, le poisson trouve naturellement sa place ici.
En revanche dans la version Ganay, le peintre a choisi de représenter la tête d'un agneau sacrifié. On distingue le museau, l'oreille et la bouche ouverte de l'animal. La tunique rouge symbolisant le sang, elle est en accord avec le sacrifice de l'agneau, le corps du Christ donné en sacrifice pour sauver les hommes.
L'ORBE CRUCIGERE (Globe surmonté d'une croix)
La boule transparente présente de petites bulles à sa surface, comme des impuretés. Le monde n'est pas parfait. La boule noire est légèrement translucide et on devine le tracé d'une croix à l'intérieur en éclaircissant l'image.
La signification du globe de cristal dans ces tableaux est une évocation de l'orbe crucigère (un symbole de toute puissance). Dans la version Cook, le globe est transparent probablement car on est sur le thème de l'eau, donc de la pureté. Dans la version Ganay, il s'agit du thème du sacrifice, le noir est plus à propos.
DES SYMBOLES INTEGRES DANS L'IMAGE (Croix, Alpha et Omega)
Les deux lanières de cuir se croisent sur le torse du Christ, formant ainsi une croix. On peut penser que la croix initialement placée sur l'orbe crucigère a été déplacée sur la tunique sous une forme moins traditionnelle.
Les motifs ornant le cuir sont similaires à ceux que l'on retrouve sur une des six gravures d'entrelacs réalisées par l'atelier de Léonard. On peut y voir un entrelacement des lettres A et W dessinées avec quatre lignes parallèles.
Entre 1490 et 1500, une série de six gravures au burin représentant un jeu complexe de lignes entremêlées autour d'un blason central fut réalisée dans l'atelier de Léonard à Milan.
DE MYSTERIEUX VISAGES
On trouve des ombres de visages discrètement intégrés dans l'image à plusieurs endroits. Le peintre a probablement voulu représenter le visages des pêcheurs que le Christ vient sauver.
Ici, on voit le profil d'un visage en clair sur le haut de la poitrine du Christ, version Ganay (rotation 90° gauche)
L'ombre d'un visage regardant vers la gauche, version Cook.
Idem version Ganay (rotation 180°)
Tête de personnage formée par la chevelure, version Cook (rotation 180°).
Idem version Ganay.
Ombre d'un visage de profil à droite du Christ (version Cook).
Même forme de visage sur la version Ganay.
Ombre d'un visage de profil à gauche du Christ.
Même forme de visage sur la version Ganay.
LE LION
Tête de lion formée par la chevelure, version Cook (rotation 180°). Le lion est un attribut royal.
Idem version Ganay.
Sur l'image infrarouge de la version Ganay, on découvre une croix dans la boule de cristal et le tracé d'une autre croix au dessus de la sphère. On distingue aussi le tracé d'une auréole au dessus de la tête. Le dessin de la tête d'agneau ressort bien.
Il semble donc que le peintre ait commencé le tableau en réalisant une représentation plus classique du Christ mettant en évidence ses attributs (auréole, croix). Il a ensuite changé d'avis en optant pour une vision plus moderne où l'humanité du personnage est mise en avant. Les attributs sont alors simplement suggérés, par des dessins intégrés dans l'image.
Conclusion
Comme pour les deux versions de la Joconde, on retrouve dans ces deux Salvatore Mundi la volonté du peintre de présenter un personnage religieux de manière plus moderne. L'idée est de mettre en avant son humanité, et de présenter de manière plus discrète ses attributs. Plus d'auréoles, d'orbe ou de croix. Ces éléments sont suggérés par des éléments graphiques intégrés au dessin.
Le globe de cristal représenté sans sa croix laisse planer l'ambiguïté. S'agit-il d'un homme tenant une simple boule de cristal dans sa main, ou du Christ tenant un orbe crucigère, symbole de la toute puissance de Dieu sur le monde ? On constate que les éléments suggérés dans l'image sont nombreux et viennent supporter le thème du Christ sauveur : l'alpha et l'omega (les motifs), la croix (les lanières), le poisson, l'agneau, le sang, l'eau du baptême, le tourbillon (les plis de la tunique), le lion et les visages des pêcheurs.
De même que la Joconde du Prado possède de petites différences avec l'original du Louvre dans les couleurs et les attributs représentés, le thème du Christ sauveur est ici traité de deux façons différentes. A travers l'eau purificatrice du baptême dans la version Cook : tunique bleue, poisson, globe transparent. A travers le sacrifice dans la version Ganay : le sang, l'agneau et la sphère noire. C'est une confirmation que la touche de Léonard est bien présente dans ces deux tableaux.